Par Abbas Kayangar
Pour un observateur averti, nul besoin de tergiverser, l’insécurité est belle et bien entretenue au Tchad par une certaine frange de personnes qui se croient au dessus de la loi et à qui profite les crimes. On projette le spectre de l’insécurité pour assujettir la grande majorité de la population qui sera obligée de penser plutôt à sa sécurité que de prétendre à des revendications sociales et à ses droits.
Beaucoup d’encre et de salives ont coulé ces derniers temps et des claviers n’ont cessé de crépiter pour parler de la recrudescence de l’insécurité, mais en notre qualité d’ancien chef de la Brigade Anti-criminalité, nous dirons sans ambages que le phénomène d’insécurité et d’impunité ont toujours existé. Il n’y a pas un jour de la semaine sans que des paisibles citoyens soient abattus. Les compilations des chiffres des victimes sont là dans les archives des mains courantes de la police judiciaire, mais jamais divulgués. Et à chaque fois, c’est des responsables de la police qui en pâtissent comme s’ils étaient responsables des crimes alors que nous savons pertinemment qui, sont les auteurs de ces actes.
La majorité des Tchadiens savent-ils que de fois, les bandits utilisent des armes de l’État pour commettre leur forfaiture? Et oui, la façon de procéder est toute simple. On sort en "patrouille" ou en "service" tout en s’enregistrant sur les registres des sorties des armes, on garde en sa possession des balles autres que celles fournies par l’armurier et le tour est joué. Et que dire de ces bandits qui après leurs crimes qui fuient les forces de sécurité en se refugiant dans les camps militaires, aux domiciles des ministres, des chefs militaires ou tout simplement au palais rose. La police n’a aucune possibilité d’aller les chercher dans leur bunker doré. Que dire de ces bandits armés arrêtés en flagrant délit qui se métamorphosent en "commandant", en «colonel" ou en toute autre catégorie de personnes se croyant au dessus des lois pour leur appartenance ethnique, clanique ou régionale.
Depuis fort longtemps, beaucoup de ceux qui commettent des attaques à main armée, surtout les "récidivistes pathogènes" sont nommément identifiés et connus. Il n’est pas rare que ces bandits aient des informateurs à la police, à la justice et auprès de leurs futures victimes. Le réseau de radio de la police est également ouvert à tous. Il suffit de se procurer une radio Talkie walkie sur le marché et se faire connecter grâce aux bons offices des services de la communication de la Présidence, suivez mon regard!
Quel désaveu pour un policier voulant bien faire son travail en respectant la déontologie policière et les lois, de voir la personne interpellée pour crime, libre de ses mouvements quelques jours après sa mise sous mandat de dépôt. Quel découragement pour un policier d’arrêter un assassin et que celui-ci revienne quelques jours a son bureau pour réclamer sa carte d’identité ou son cellulaire mis sous scellé au parquet. Quel camouflet pour un policier de se voir ordonner par ses chefs hiérarchiques ou son ministre de tutelle de libérer un tel criminel même si ses actes sont avérés et confirmés par l’enquête. Quelle mésaventure pour un agent de l’ordre de voir un criminel de sang quitter "hautainement" le commissariat, un sourire narquois aux lèvres, vous faisant ainsi savoir que vous n’êtes rien face à lui et son puissant réseau. Et que dire de ces enquêtes qui aboutissent à des découvertes époustouflantes où les véhicules, les armes et les butins des criminels sont cachés aux domiciles des hauts cadres civils et militaires voire chez des ministres?
Ne nous leurrons pas, pour un observateur averti comme nous, le phénomène de l’insécurité perdure depuis plusieurs années. Nous mettons au défi toute personne de démontrer le contraire. Quand on sort à bord de vehicules de la présidence ou de l’armée pour venir abattre en plein jour un citoyen devant une institution bancaire, quand on abat a bout portant des personnes imprudentes ou des aliénés qui osent se "balader" dangereusement aux abords des édifices sensibles, on ne peut plus parler de protection mais plutôt de crimes d’état, de terrorisme dans toute son ampleur. Au vu de tous ces arguments, quel est ce policier héroïque qui mettrait à coup sûr sa vie et celle de sa famille en danger en faisant appliquer à la règle les directives et en refusant d’obtempérer aux ordres de ses chefs pour laisser partir les criminels. Combien de lecteurs savent-ils que des nombreux policiers ont été assassinés à la suite de leur service commandé comme s’ils étaient les donneurs d’ordre.
Pour nous qui aimons notre pays et notre travail, la seule issue pour nous est le chemin de l’exil. Nous n’allons pas devenir des clowns et fermer les yeux sur la souffrance de notre peuple. Beaucoup de policiers aiment leur travail et veulent le faire avec professionnalisme, mais quand ils sont envahis par des prédateurs qui, le jour sont des policiers et la nuit deviennent des "chats gris", le vrai policier n’a que des yeux pour pleurer et user ses pantalons (beaucoup de policiers connaissent cette expression) sous les nimiers de la DSP (Direction de la sécurité publique) et des commissariats. Ne nous trompons pas, aucune volonté des autorités de vouloir juguler les phénomènes du banditisme. Si on décide, on pourra en un tour de main mettre un terme à l’impunité et aux actes criminels commis le plus souvent par les mêmes individus. Qui pourra nous dire des actes du groupe d’Ibrahim Garim Mour alias Gara Gawi et sa clique, responsables de plusieurs crimes de sang ne sont pas connus des hautes autorités. Comment comprendre que cet individu et son groupe aient commis plus de 30 attaques à main armée dont celles ayant causé la mort du colonel Abbo Nassour ou des deux payeurs du ministère de l’intérieur, sans être inquiétés. Arrêtés et inculpés, ils ressortent toujours forts pour commettre d’autres crimes. Que dire des agissements du chef de "race" de ces individus qui se porte garant, à chaque fois qu’ils sont appréhendés pour crimes violents?
Quoi de plus frustrant et humiliant pour un policier et de surcroit chef d’une unité d’élite chargée de lutter contre les criminels de se voir ordonner de modifier son plan de patrouilles, en annulant la patrouille de ses éléments dans certaines zones pourtant à haute propension de crimes. Nous ne parvenons pas à comprendre que la coopération policière française ait investi des millions de francs par le biais du SCTIP(service de coopération technique internationale de police)pour former des techniciens et créer une police scientifique et technique, douze ans après, cette unité n’a jamais vu le jour malgré la dotation en équipements, la formation des agents et la rénovation au prix de vingtaines de millions de francs d’un bâtiment pour abriter cette unité indispensable pour toute police digne de nom. Nous ne pouvons comprendre
également qu’une unité chargée de lutter contre la criminalité soit envoyée comme gardienne devant les banques. Au lieu de traquer les bandits, ils passent leur temps à fouiller des gens et surveiller des engins. Enfin, nous ne pouvons comprendre qu’un auteur d’un meurtre soit libérer sans aucune forme de procès parce qu’il est un parent d’untel ou le fils d’un autre. Et comment accepter qu’on vous répète qu’un tel "garder a vu" est le fils d’une certaine autorité et ne doit pas rester là, ni être déféré au parquet.
Que cela soit clair, depuis toujours les attaques à main armée non jamais cessé et à chaque fois, pour tromper la galerie, on sanctionne des boucs émissaires en limogeant des responsables policiers de leur poste alors que les causes de l’insécurité sont l’attentisme et l’autisme du gouvernement, en plus de l’injustice galopante, parlons franchement de l’impunité et de la complicité dont bénéficient les criminels, des pressions et menaces de mort que subissent les policiers. Qui à prit son courage a deux mains pour dénoncer les cas de policiers tués après leur service ou ceux blessés en service et jamais pris en charge pour leur soin. Nous connaissons personnellement des policiers qui ont été tués froidement après l’exercice de leur mission. Nous connaissons malheureusement des policiers amputés des deux mains pour avoir sauvé des gens qui risquaient de mourir sous les effets d’une grenade. Ils vivent handicapés et jamais pris en charge ni dédommagé. Nous connaissons hélas, des policiers, des pères de famille, tombés d’une auto patrouille et paralysé des membres sans qu’aucune autorités policières ou politiques ne viennent à leur chevet.
Nous nous rappelons amèrement de ce cas, un mari éconduit par son épouse s’en est pris au fils de cette dernière, alléguant que le beau fils était la cause de leur divorce. Le pauvre jeune homme de 23 ans a été pris dans une souricière par son beau-père qui l’assena mortellement de plusieurs coups de couteau et ce, à quelques mètres du poste de gendarmerie de Dembé. Arrivé sur les lieux du substitut du procureur, l’honorable Hinsou Hara et de notre équipe. Après constat sur les lieux, des informations faisaient état de la venue des gendarmes de la Brigade de Dembé. Après les formalités sur la scène du crime, ordre nous a été donné par Monsieur Hinsou avec qui, nous collaborions souvent pour les cas d’homicide, d’aller chercher l’auteur au poste de gendarmerie de Dembé. Quelle ne fut notre surprise : après nous avoir identifié, nous pénétrâmes au bureau du fameux CB analphabète qui n’a même pas daigné nous rendre les honneurs pour nos grades, confortablement assis derrière son "bureau" et l’auteur de ce crime de sang qui venait de se passer a peine une heure, lui aussi confortement assis sur une chaise, une jambe sur la cuisse, une cigarette à la main, sirotant du thé avec le CB.
En lui annonçant l’objet de notre visite sur ordre du substitut du procureur, notre fameux CB nous répondit hargneusement que ses éléments avaient diligentés l’enquête et qu’il ne nous remettra pas le prisonnier. En dépit de l’appel du procureur et son intervention auprès du Directeur de la gendarmerie, l’auteur du meurtre nous a été refusé. Comment comprendre qu’une personne qui vient de commettre un meurtre ne soit même pas appréhendé et adopte la posture d’un ami, d’un visiteur ou d’un parent en visite au bureau du CB. Des tels cas, nous avons des dizaines. De grâce, arrêtez de nous mystifier, jamais les assassinats n’ont cessé depuis ces deux décennies et ça n’est pas Monsieur Hinsou qui nous démentira pour ces cas et tant d’autres.
Même si tous les policiers n’ont patte blanche et que des nombreuses sangsues ont pris en otage les services de police, la lutte contre l’insécurité est une mission à haut risque. Ni le premier ministre, ni son ministre de l’intérieur ne peuvent rien contre ce phénomène si ce n’est des beaux discours. Seul le Président de la république peut décider de mettre un terme à l’impunité, à l’injustice et à l’insécurité. Nous le laissons face à sa conscience. Il est grand temps de mettre un terme aux agissements crapuleux des bandits qu’une fois arrêtés, se disent officiers de l’armée ou fils de l’autre. Il est grand temps que les prisons tchadiennes servent de centres de reconversion et d’application des peines dans toute sa rigueur et non de passoir pour les criminels. Pour ne pas tomber dans le piège mortel de ces bandits, faites attention à vous, car ils utilisent des informateurs proches de leur victime.