Houssein Ibrahim Houmed vient de déposer une plainte auprès de la cour pénale internationale à l’encontre du président de la République de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh. Le Rennais, professeur de philosophie d’origine djiboutienne, l’accuse de crimes contre l’humanité. Le Mensuel : Vous accusez les autorités djiboutiennes de massacres qui auraient débuté au lendemain de l’indépendance du pays, en juin 1977. Pourquoi porter plainte maintenant ? Houssein Ibrahim Houmed : Parce que le président Ismaël Omar Guelleh continue de s’en prendre aux femmes et aux enfants du pays. Le génocide ne s’arrête pas, même si personne n’en parle. On retrouve régulièrement des charniers, comme celui de Day, qui avait fait parler en 2007. Le climat est délétère. Le régime est liberticide. Il a transformé Djibouti en prison à ciel ouvert. Plus de 6 000 opposants sont actuellement incarcérés. Parmi eux, il y avait l’un de mes anciens collègues enseignants à Djibouti. Il a été torturé et est mort dans des conditions atroces. Le même jour, l’armée ouvrait le feu sur des collégiens. Pour moi, ça a été l’élément déclencheur. A Djibouti comme dans la diaspora, tout le monde a peur. Il faut rompre ce cercle et faire savoir au monde entier que là-bas, on tue. Depuis le dépôt de ma plainte, j’ai reçu beaucoup de messages d’encouragements et de soutien. J’ai aussi reçu des menaces de mort. C'est-à-dire ? Je reçois des coups de téléphone d’intimidation, des messages sur Twitter appelant à ma mort. J’ai également été agressé physiquement chez moi il y a moins d’une semaine. Ma femme et ma fille sont encore sous le choc et veulent que je retire ma plainte. J’ai aussi eu un mystérieux coup de téléphone : mon interlocuteur me proposait 50 000 € contre mon silence. Mais c’est trop tard, maintenant. Je prends ce combat comme une mission. C’est très ambitieux de ma part, mais je souhaite faire pour les victimes djiboutiennes ce que Serge Klarsfeld a fait pour les victimes de la Shoah. Nous avons un devoir de mémoire envers elles. Votre plainte est assortie de documents précis, de listes de personnes décédées. Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce dossier ? Depuis 2007. C’est un travail de fou, car les listes sont encore incomplètes. J’ai reçu hier un mail des Etats-Unis d’un monsieur qui me communique 600 autres noms de personnes assassinées par le régime. J’aurais voulu porter plainte plus tôt, mais je voulais m’assurer que toutes mes informations étaient sourcées et vérifiées. Les enjeux sont trop importants. Il me fallait aussi être sortir de la précarité administrative : on ne sort pas un dossier aussi brûlant lorsqu’on a qu’un titre de séjour à faire renouveler chaque année. Maintenant que j’ai la nationalité française, je me sais protégé et sûr de mes droits. Vous affirmez que ce sont principalement des personnes de l’ethnie afar qui sont victimes des massacres. Pourquoi sont-elles les cibles privilégiées ? On trouve deux ethnies principales à Djibouti : les Afars et les Issas. Ismaël Omar Guelleh assoit son pouvoir en exacerbant d’anciennes tensions claniques (les Afars occupent une grande partie du territoire, mais c’est un parti issa qui contrôle le pouvoir depuis l’indépendance, marginalisant toute opposition afare. Une frustration qui a dégénéré en guerre civile en 1991, entre Issas et Afars, NDLR). Son gouvernement, sclérosé par des axiomes fascistes, accuse les Afars de tous les maux. Il les a exclus de toute la sphère économique et politique. L’armée djiboutienne mène des raids répressifs jusqu’en Ethiopie où les Afars sont également présents. L’ironie du sort, c’est qu’aujourd’hui Ismaël Omar Guelleh tue indifféremment des Afars et des Issas : il s’en prend à toute personne s’opposant à son pouvoir. Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a tiré récemment la sonnette d’alarme sur le "génocide" en cours en Centrafrique. Comment peut-on expliquer le silence de la France sur des massacres à Djibouti, alors qu’elle y dispose de sa plus importante base militaire à l’étranger ? En 1995, l’assassinat à Djibouti du juge français Bernard Borel avait fait beaucoup parler. Sa veuve, depuis, se bat pour faire connaître les abus du pouvoir djiboutien. Mais les enjeux sont gros pour la France.
Source : Rennes le mensuel
Source : Rennes le mensuel